vendredi 9 octobre 2009

Joseph DE VEUSTER - L'option pour les plus délaissés

Un saint de l’espérance
On peut peindre de Damien un portrait extérieur et un portrait intérieur. L’un reflète l’histoire par laquelle il s’inscrit dans un temps et dans un peuple, par sa vie, sa culture et son curriculum vitae ; l’autre laisse entrevoir ce qui n’est visible qu’aux yeux de la foi.

De Tremelo à Molokaï
Joseph De Veuster naît en 1840 dans le hameau de Tremelo, près de Louvain. Il est le dernier de huit enfants. Les temps sont durs. En 1845, -il a à peine 5 ans- la récolte de pommes de terre est désastreuse. L’année suivante, il n’y a même pas de récolte de blé. Il règne une atmosphère de famine et de crise. Le typhus, le choléra et les scènes de pillage alimentent l’inquiétude. Durant son enfance et son adolescence, Joseph s’exerce à vivre en état de résistance. A 13 ans, il quitte l’école pour travailler avec son frère aîné à la ferme. A 18 ans, son père le destine au commerce du grain et l’envoie étudier le français à Braine-le-Comte. Sa vocation s’éveille. Dans la fratrie, son frère aîné et trois de ses sœurs sont entrés au couvent. Il se sent appelé lui aussi. Le 2 février 1859, il prend l’habit religieux de la congrégation des Pères des Sacrés-Cœurs où son frère le précède. Jovial, généreux et moyennement doué, le « bon gros Damien », comme l’appelaient ses confrères, apprend à vivre sous le signe de l’eucharistie et de l’adoration, selon le charisme de sa congrégation. Pendant sa formation à Paris, son cœur s’ouvre aux vastes champs de l’apostolat. En 1863, son frère Pamphile est choisi pour partir aux îles Sandwich. Le typhus sévissant à Louvain, il est contaminé à la suite de ses visites aux malades. Damien s’offre pour partir à sa place.

Jusqu’au bout de l’amour
Après cinq mois de traversée – Brême-Honolulu en passant par le périlleux Cap Horn – à bord d’un trois-mâts allemand, Damien débarque sur une terre où la population est décimée par des maladies importées. En 1770, l’archipel hawaïen comptait plus de 250.000 habitants. Un siècle après, le chiffre de la population était tombé à 50.000 : 4/5es des habitants avaient disparu. Ordonné prêtre à Honolulu, Damien se voit confier un district au nord de la grande île de Hawaï où il se dévoue pendant huit ans parmi ses chers Canaques : « Je les aime beaucoup. Je donnerais volontiers ma vie pour eux, comme l’a fait notre divin Sauveur.»

Naufragés de la souffrance
Parmi les huit îles volcaniques que l’archipel égraine comme un chapelet au milieu du Pacifique, le « grain » central, Molokaï, est une véritable prison d’Etat. Depuis quelques années, on y débarque les lépreux et les suspects, traqués dans les villages, arrachés à leurs familles, et condamnés à la réclusion à perpétuité. Dans une prison naturelle, une languette de terre située à l’ombre d’une falaise abrupte, au nord de l’île, plus de 600 lépreux réduits à l’état de désespoir croupissent pratiquement sans soins du corps ni de l’âme.

Embarquement sans retour
En 1873, au cours d’une célébration dans l’île la plus proche de MolokaÏ, l’évêque fait état de la détresse des lépreux entassés à Kalawao. Quatre jeunes prêtres s’offrent pour se relayer auprès d’eux afin d’échapper à la contamination. Damien sait qu’il ne peut s’occuper de ces malades, dont plusieurs ont été arrachés à sa communauté de néophytes à Hawaï, sans s’identifier à leur sort. Il a 33 ans. « Je suis prêt, dit-il, à m’ensevelir tout vivant avec eux. » Sans retourner à Hawaï, il prend le bateau à vapeur pour Molokaï où il demeure seize ans, comme un père au milieu de ses enfants. Jour après jour, il assure le service paroissial, la catéchèse, l’initiation des catéchumènes. Il monte une chorale et une fanfare, il organise les funérailles, construit et reconstruit chapelles, écoles dispensaires, presbytère et cabanes. Il organise l’aide sanitaire et alimentaire. Il sollicite l’appui de la presse pour réveiller la conscience du monde.

L’homme intérieur
Ce que Joseph De Veuster vécut en profondeur est symboliquement exprimé par sa signature : « Damien, prêtre missionnaire. » Son héroïsme, il le puise aux sources de la foi.
Au fil des années
Depuis son enfance, Joseph avait été éduqué dans une foi simple et forte, une foi à transporter les montagnes. Et pourtant son caractère était carré. C’était une forte tête. Il n’est pas né saint. Une lente évolution intérieure traverse sa vie. Même à Molokaï, il n’a pas vécu d’emblée une telle proximité avec le Christ, notamment dans l’adoration eucharistique. En homme habile dans tous les métiers, il était au début plus souvent à cheval qu’à l’église. Ce n’est qu’au fil du temps que sa vie, défiée par la charité, burinée par la solitude et la maladie partagées, fut transfigurée. Cette évolution se lit sur son visage. De ses photos de jeunesse à celles de sa mort, l’éclipse de sa beauté extérieure laisse transparaître sous un masque de boursoufflures, une humilité et une bonté, une profondeur et un rayonnement qui n’appartiennent pas à la « chair ».

L’option pour les plus délaissés
Le labeur missionnaire de Damien reflète une conception très moderne : l’option préférentielle pour les pauvres et les plus petits. Aimer les pauvres, c’est être à leurs côtés, même si on est impuissant. Et en même temps, tout faire pour améliorer leur sort, y compris s’engager sur les voies de la science.
Être aux côtés des pauvres signifie tout quitter. « Laissant tout » pour être tout à tous, Damien n’a pas seulement quitté sa famille naturelle, mais aussi sa famille spirituelle. Sa plus grande souffrance ? Voir tout lien avec sa congrégation coupé par l’injonction de ne plus quitter l’île à cause de sa « terrible maladie » et la privation de tout confrère. L’épisode de sa confession sur un quai, à un prêtre haut perché sur un navire, symbolise son cri pathétique et son dénuement jusque dans ses besoins spirituels les plus profonds. Le chemin des pauvres passe par le calvaire et par l’expérience de l’abandon du Christ.

Cardinal G. Danneels d'après Pastoralia n°3, mars 1994 pp.52-55

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