vendredi 20 mars 2015

Et si on parlait du BONHEUR NATIONAL BRUT (BNB)?

“Le Bhoutan est un laboratoire”
Le Dr Tho Ha Vinh est directeur des programmes au Centre pour le Bonheur national brut à Thimphu. Nous l’avons interrogé sur l’expérience bhoutanaise.
Quelle est la vision bhoutanaise du bonheur?
Le bonheur dont on parle dans le contexte du Bonheur national brut n’est pas le sentiment superficiel passager qui change au cours de la journée à tout moment en fonction de son humeur ou des circonstances extérieures. On parle de quelque chose de beaucoup plus profond, qui a affaire avec une bonne vie, une vie dans laquelle on a le sentiment que ce qu’on fait est porteur de sens et peut contribuer à la société et au monde.
En quoi l’expérience bhoutanaise a-t-elle du sens et comment s’évalue-t-elle?
Derrière la question du Bonheur national brut, il y a une remise en question de la notion de Produit intérieur brut. On oublie souvent de se poser la question: à quoi sert la croissance économique ? Elle est naturellement utile et nécessaire, pour autant qu’elle serve le bien commun. A partir du moment où l’on est d’accord sur le fait que le progrès matériel est un moyen et que l’objectif visé est le bien­être de tous – des humains mais aussi des autres règnes de la nature puisque nous sommes interdépendants –, on doit s’assurer que les décisions politiques prises, les lois passées, les projets mis en œuvre servent bien ce but. D'où l’idée de créer un indice permettant d’aligner les décisions politiques avec les objectifs poursuivis et de mettre en place des outils de contrôle.
Est-ce la responsabilité de l’Etat de rendre les gens heureux?
Non, ce serait même terrible! Le but est de s’assurer que les conditions que l’Etat met en place permettent aux gens de poursuivre leur aspiration au bonheur. L’Etat a la responsabilité sociale de garantir les conditions équitables et bonnes permettant à chacun de voir ses besoins fondamentaux satisfaits, ce qui inclut l’éducation, la santé, le niveau de vie, l’environnement, etc. C’est la dimension bien-être du BNB. Le bonheur en tant que tel dépend, lui, de l’individu, mais on peut agir à travers l’éducation. Il y a des éléments génétiques, mais il y a aussi des éléments de l’ordre de la compétence émotionnelle et sociale. On observe, par exemple, une corrélation entre notre capacité d’empathie et de compassion et notre propre bien ­être. Plus quelqu’un est compassionnel, altruiste, plus il est heureux. Si c’est une compétence, cela peut s’apprendre, cela devient donc une responsabilité pédagogique.
L’expérience bhoutanaise est-elle exportable? Quelles leçons peut-on en tirer?
Je ne dirais pas qu’elle est exportable mais elle constitue une source d’inspiration. Le Bhoutan n’est pas si important que cela, en tant que tel. Ce qui l’est, c’est l’expérience d’un modèle alternatif de développement. Il s’agit en quelque sorte d’un laboratoire où les échecs se révèlent aussi importants que les succès. Pensons aux grands défis de notre temps: le changement climatique et le défi écologique. Le Bhoutan se pose en élève modèle: 72% de son territoire est couvert de forêts, ses émissions de carbone sont négatives et il promet d’être 100% bio d’ici à 2020. Mais cela a, à peu près, zéro impact global. Le Bhoutan, avec ses 600 000 habitants, est coincé entre l’Inde et la Chine qui ont chacune plus d’un milliard d’habitants. La question n’est pas de savoir si le Bonheur national brut va réussir au Bhoutan; s’il s’arrêtait demain, ce serait très dommage pour les Bhoutanais, mais cela ne changerait rien pour le monde. La question est de savoir si ses réflexions autour d’un autre modèle de développement, d’économie, de valeurs permettront à d’autres pays de réfléchir différemment.
Est-ce déjà le cas, selon vous?
Il y a dix ou quinze ans, parler de bonheur à l’Onu ou dans un forum international aurait été considéré comme ridicule. Cela ne l’est plus aujourd’hui. C’est un peu miraculeux qu’un aussi petit pays que le Bhoutan ait un tel impact. Une résolution, “Towards Happiness and Wellbeing”, a été adoptée à l’Onu en 2011 et plusieurs pays réfléchissent à des indicateurs alternatifs, comme la France ou le Royaume-Uni. Cela a initié une réflexion globale, qui dépasse la fracture gauche­droite, et tout l’enjeu est de savoir si elle va avoir un impact suffisant pour nous permettre de changer d’orientation à temps. Il y a urgence.
Entretien Sabine Verhest

© S.A. IPM 20.3.2015, p 27

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