Le
chant grégorien, un chant nouveau?
François Fierens
(3ème partie)
Voyons à
présent ce qui en est du chant grégorien.
Le chant
grégorien est le chant de la parole de Dieu. Ce qu’il chante, ce sont non ses
propres paroles, qui pourraient demeurer stériles, mais celles que Dieu a mises
dans notre bouche: c’est le texte même de la Bible. Il est la Bible chantée. Le
chant grégorien vise donc à articuler le chant que le Seigneur a mis dans notre
bouche lorsque nous nous tournons vers lui dans l’attente de sa venue. C’est
pourquoi il est un chant nouveau: il est le chant de l’accueil de la Parole.
Recevoir la
Parole vivifiante, nous laisser toucher par elle en la faisant nôtre dans un
chant qui la reçoit et l’interprète, tel est bien le sens biblique du «chant
nouveau». Saisir ce que recèle la Parole, la faire advenir en nous dans sa
simplicité et sa profondeur, en suivre les plus secrets méandres au fil de son
expression mélodique, la mâcher et la méditer, et cela non par la vertu de
l’émotion mais par sa propre puissance, par la force de ce qui se révèle dans sa
vérité, telle est la grâce du «chant nouveau».
C’est ce
qu’exprime le chant des Chérubins de la liturgie orientale, cette hymne liturgique
adressée à «la vivifiante Trinité», qui nous invite à «quitter tout souci du monde pour recevoir le Roi de toutes choses».
La Trinité est l’expression parfaite de l’amour, et le chant toujours nouveau,
le chant rénovateur, est bien celui qui nous fait accueillir le commandement
nouveau de nous aimer les uns les autres, comme l’écrivait saint Augustin.
C’est aussi ce que nous demandons à l’Esprit Saint dans le Veni Creator en chantant «infunde
amorem córdibus», «répands ton amour en nos cœurs».
Le chant grégorien
nous introduit ainsi dans le pouvoir vivifiant de la Parole de Dieu, dans sa
puissance de rénovation. Il est celui qui rend nouvelle en nous la Parole, nous
permet de l’entendre comme si nous l’écoutions pour la première fois, parce que
nous avons fait silence en nous pour l’accueillir, parce que le chant crée le
climat d’apaisement nécessaire à l’écoute, parce qu’il creuse en nous la
demeure du Christ. La nouveauté est là. Elle est semblable au Royaume de Dieu,
à la petite semence qui donnera naissance à un arbre immense où les oiseaux du ciel
feront leur nid, comme nous le dit l’Evangile.
Le chant
grégorien nous conduit également à la nouveauté pour une autre raison: il nous
mène au-delà de nous-mêmes dans un espace toujours ouvert à la curiosité de
notre âme, dans la demeure de l’Esprit. Celui-ci entreprend alors en nous ce
qu’il veut et nous conduit à entière nouveauté, nous faisant sortir du champ
clos de nous-mêmes. Comme le dit le chant du Lauda Sion, «Vetustatem
nóvitas, umbram fugat véritas, noctem lux elíminat», «L’ordre ancien le cède
au nouveau, la réalité chasse l’ombre, la lumière dissipe la nuit». Tout cela est
avant tout une œuvre d’amour, qui porte notre regard au loin, soutenu et
conduit par Dieu, sa Parole emportant la nôtre vers ce qui nous est neuf et
inconnu, dans un chant non pas à notre mesure, mais à celle de Dieu.
«La littérature, écrivait Franz Kafka, est un coup de hache dans la mer gelée qui
est en nous». Telle est aussi la Parole, qui brise par sa jeunesse et sa
nouveauté le vieil homme qui est en nous. Le vieil homme murmure le vieux
chant, l’homme nouveau chante un chant nouveau.
Le chant
grégorien n’existe que pour exprimer ce qui rend l’âme libre et légère, ce qui
permet à l’homme nouveau de prendre la place du vieil homme, ce qui rend
possible de renaître selon l’Esprit, comme Jésus le proposait au vieux
Nicodème.
Ainsi que le
disait récemment Dom Yves-Marie Lelièvre, maître de chœur de l’abbaye de
Solesmes, «la Parole se révèle toujours
nouvelle.» ([1])
Ce que Samuel Pruvot, qui l’interrogeait, commentait de cette façon: «Tout le génie du grégorien consiste à
magnifier la Parole. Ceux qui suivent cette école de prière ont la conviction
de ne jamais revenir en arrière.». Et Dom Lelièvre de conclure: «Le chant nous prend dans ses bras et nous
emporte.», ce qui faisait dire à son interlocuteur: « Personne n’a le temps de s’installer. Car Dieu fait toutes choses
nouvelles selon la belle expression de
l’Apocalypse.»
1 commentaire:
Le père Lelièvre a quitté le monastère à l'automne 2011 et donc n'est plus chef de chœur.
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